
À MA SŒUR DE LUTTE , ÉPUISÉE
À travers les larmes, nos seules armes, surmontant la fatigue, la fatigue des larmes…….
Je t’ai senti craquer, de cette fêlure plus profonde qui sait que le statu quo brisera le vase et qu’il faut changer pour ne pas être la fleur échouée de son réservoir d’eau vitale. Fleur coupée par les hommes, il faut refaire sans arrêt ses racines. Et veiller au bouquet, nos enfants .
Sœur jument sœur jumelle, combien d’obstacles, de tirs, de trahisons nous avons traversés, contournés, impactés, déjoués, échoués, affrontés, subis.
Pour lutter contre la violence combien de violences avons-nous souffert en retour ? A peine éloignée du champs de bataille je sentais que la lance de justice serais plus lourde sans toi, que je pouvais jeter le javelot que parce que nous le projetions ensemble. Amazoones, nos 2 pattes en faisaient 4. Pendant que les coups de bâtons nous meurtrissaient les tibias, que nos assises vacillaient sous les coups des pères désenfantueurs, des pères rapteurs, des pères violeurs. Je ne sais pas si le « collectif » peut être offensif contre la dicktature parce que je n’ai vécu le « collectif de lutte » que de façon si fugitive qu’il est un deuil, un chagrin, un échec, un impossible, une tentative qui ne fonctionne jamais tant il est traversé par le mâle mizoogyne qu’il combat. Mais je sais que la partenaire que tu es fait grandir la rebelle que je suis. Que la rebelle que tu es me transforme en partenaire. Ton attention à être généreuse et sorore rassurait ma volonté de l’être. Tes nombreux soutient aux femmes combattantes comme message prioritaire dans les tranchées patriarcales était un étonnement.
Nous avons pleuré ensemble la trahison de femme qui ont choisi la médiocrité, vacuité, malhonnêteté d’un homme contre le mouvement femelliste intransigeant incorruptible que nous tentons.
Nous avons pleuré ensemble d’avoir été cette même femme aliénée, naïve, abreuvée de représentations romantoc , de propagande androcrate qui porte le nom « d’amour » quand ils n’ont qu’intérêts à soumettre et exploiter. Nous avons vu le déni des autres femmes, impuissantes à leur faire endosser la lucidité . L’homme haineux qui entre dans nos draps et mine notre corps de sa bombe sexiste.
Nous avons pleuré ensemble qu’elle nous ait abandonné et qu’elle serve le kapo qui nous a infiltré, menti, utilisé, mit en danger, manipulé, espionné, saboté, emprisonné, volé, pendant plusieurs années.
Nous avons pleuré ensemble que les femmes ne voient pas leur valeur et prêtent un intérêt à des imposteurs vides.
Nous avons pleuré ensemble les femmes forcloses dans la haine inoculée d’elle-même, qui s’alcoolisent, se boulimisent, se droguent, se récurent, se charcutent, se percent, se tatouent comme pour auto-détruire les souffrances qui nous assaillent. Nous sommes ces femmes. Tu as écouté mes larmes, j’espère avoir écouté les tiennes ……..Et que ces voix dans nos oreilles continuent de faire des hymnes révolutionnaires. Que leurs échos soient des flambeaux de la flamme femelliste.
Nos complémentarités ont fait un « nous » , ce nous qui me bouleverse tant . Nous inspirant mutuellement, tu étais mon émulation en marche. J’ai découvert l’artivisme du street art et des actions de justice aux dramaturgies façonnées par le dialogue de nos imaginaires. Si nous avions habité à côté nous aurions joué la comédie femelliste à la face des glands de ce monde.
Nous avons été les « plus âgées » de groupe où on voyait les femmes plus jeunes être dans les errements du flipper patriarcal. Nous avons été celles dont on pense le lait intarissable quand on espère que la responsabilisation de toustes fasse sources d’initiatives…
Nous avons pleuré les larmes les plus salées de la trahison de femmes avec qui nous étions solidaires et qui nous ont piétiné de jalousie rivale pour se hisser sur une tribune dont le marche-pied était nos dépouilles calomniées. Nous avons voulu penser que tant de méchanceté ne pouvait pas exister. Gémit le chagrin de sa réalité nous avons…
Nous avons survécu à des cyber campagnes qui mettaient nos corps en pornification et inventaient des histoires salissantes.
Nous avons vécu les pistolets de la milice braqués sur nos corps menottés, écrasées dans la paille merdeuse qui remplace l’herbe des poussins que nous étions venus sauver….
Nous avons vécu le trou à merde des prisons de la dicktature, les tentatives de la milice pour nous diviser, nous monter les unes contre les autres, nous faire avouer une hiérarchie parce qu’ils ne connaissent que ce fonctionnement mortifère.
Impulsive-mais quand le courage du passage à l’acte émerge enfin il faut saisir l’instant du sursaut-, tu envoyais des ogives contre le totalitarisme masculin sans prévenir. Ton geste me faisait craindre la répression rapide, le backlash qui allait s’abattre à coup sûr sur nos vies précaires, sur nos vies brindilles. Et en même temps j’étais admirative du geste, fière de ton courage, l’évaluant juste dans un contexte global où les audaces de tir isolé sont aussi nécessaires. Les contres coups furent violents, mais les contre coups arrivent toujours ; vouloir les éviter et c’est la lutte qui n’a plus lieu.
De toute éternité, le féminisme c’est une femme qui dit non à la misogynie et une seconde qui valide le refus. De cette validation naît un renforcement de la légitimité d’être inservile aux hommes et de cette confirmation miroir que nos existences comptent éclos l’insurrection femelliste planétaire.
J’ai profité de tes compétences de femme concrète, bricoleuse, créative, travailleuse, de ta vocation de détective d’investigation des catacombes patriarcales. De tes données informatives je tentais une synthèse analytique. Et de ton analyse formulée dans une observation rapide, je tentais d’en déployer toute l’intelligence et le potentiel de développement. De l’expression fugace où tu formulais certaines punchlines je ne suis pas dupe de leurs intonations sans prétention, je sais que c’est une énième façon de se croire bof, sans plus, quand tu formulais des pépites.
Tant d’actions qui rayonnent au vent de la révolte ont eu lieu grâce à toi ; le pas qui avance, le geste qui pourfend le patriarcat, qui fait la nique au flic, à l’éleveur, au cravaté, chaque geste est gravé dans ma mémoire comme un espoir étincelle. Si nos braises ont su faire des flammes, il y aura un feu de joie un jour où les femmes ne seront plus esclaves, où les juments nous apprendront à voir le monde, où la domestication sera un effroi au passé d’anciennes civilisations.
Tu connais mes tares et j’ai souvent eu peur que tu ne m’aimes plus. Comme si ce désamour était plus normal que ton amour. Je suis surprise d’être appréciée comme toutes les femmes devenues dépréciées depuis la naissance. Nous avons aimé très fort une troisième courageuse, avec vous 2 j’étais certaine que nous aurions pu renverser les multinationales du zoolocauste. Nous pouvions provoquer la tempête qui détruit les camps de la mort. Je te jure Carole que j’en ai la conviction. Certaine alliance font des miracles, elle n’a pas duré longtemps mais elle a existé et sa résistance à l’ordre gynocidaire aussi.
Nous avons vécu la culpabilité de ne pas produire plus de travail que ne l’exigeait tout nos chantiers. Tant d’actions sont en suspens. Nous avons vécu la colère de constater l’inertie dans la militance. Nous avons connu les joies de découvrir des activistes coréennes, américaines, argentines, dire la même chose que nous au même moment.
La lutte est devant toujours, tout reste à faire et les gestes les plus puissants sont à venir. Avec ou sans toi. Toi sur un autre chemin ou sur quelques croisements. Je ne sais pas Carole, mais je voulais te dire à quel point ton apport est immense, dans ma vie et dans la lutte. J’ai peur aussi de ne plus y arriver. Se réinventer arrive à chaque seconde face aux difficultés de vie où nous submerge l’adversité bitocrate. Mais poser les décisions de la préservation, quand la guerrière est trop blessée pour recevoir d’autre coup est ce qu’il faut faire.
Partageant cette immense fatigue, ce « burn out » comme bien nommé, usée d’être face à la lumière morte des écrans pour préparer ou diffuser les actions de résistance, j’ai vécu le déconfinement comme une décompensation du monde immonde qui reprend sur un palier dicktatorial encore plus violent.
Il n’y a pas de lutte sans vitalité, la vitalité est une boussole de lutte.
Solveig HALLOIN, un jour d’août 2019


