
Traduction du chapitre 3 « The Marquis de Sade (1740-1814) » du livre « Pornography, Men possessing women » d’Andrea Dworkin

LE MARQUIS DE SADE (1740-1814)
« Ce que les mouches sont pour les garçons espiègles, nous le sommes pour les Dieux : ils nous tuent pour leur plaisir. »
Shakespeare, King Lear.
Donatien-Alphonse-François de Sade – connu sous le nom du Marquis de Sade, aussi appelé par ses ardents admirateurs qui sont légion Le Divin Marquis – est le premier et plus grand pornographe au monde. En tant que tel, il incarne et définit les valeurs sexuelles masculines. En lui, on trouve le violeur et l’écrivain qui s’entremêlent en un seul nœud scorbutique. Sa vie et son écriture étaient d’un morceau, tout un tissu imbibé du sang de femmes imaginées et réelles. Dans sa vie, il a torturé et violé des femmes. C’était un agresseur, un violeur, un kidnappeur et un abuseur d’enfants. Dans son travail, il s’est acharné à célébrer la brutalité comme l’essence de l’érotisme; la baise, la torture, et le meurtre ont fusionné; la violence et le sexe sont devenus synonymes. Son travail et sa légende ont survécu pendant près de deux siècles parce que des hommes littéraires, artistiques et intellectuels l’adorent, ainsi que les penseurs politiques de la gauche qui le revendiquent comme une figure de la liberté. Sainte-Beuve a nommé Sade et Byron comme les deux sources d’inspiration les plus importantes pour ceux qui sont considérés comme les plus avant-gardistes et les plus grands écrivains qui les ont suivis. Baudelaire, Flaubert, Swinburne, Lautreamont, Dostoïevski, Cocteau et Apollinaire entre autres ont trouvé en Sade ce que Paul Tillich, un autre adepte de la pornographie, aurait pu appeler « le courage d’être« .
Simone de Beauvoir a publié une longue apologie de Sade. Camus, qui, contrairement à Sade, avait une aversion pour le meurtre, a romantisé Sade comme celui qui avait monté « la grande offensive contre un paradis hostile »1 et qui était peut-être « le premier théoricien de la rébellion absolue ».2
Roland Barthes s’est immergé dans les moindres détails des crimes de Sade, ceux commis dans la vie comme sur le papier. Sade est le précurseur du théâtre de la cruauté d’Artaud, de la volonté de puissance de Nietzsche et de la frénésie du violeur William Burroughs. En Angleterre en 1966, un garçon de douze ans et une fille de dix ans ont été torturés et assassinés par un disciple autoproclamé de Sade. Les crimes ont été photographiés et enregistrés par le meurtrier, qui les a ensuite visionnés pour le plaisir. En 1975 aux États-Unis, le crime organisé aurait vendu des films « snuff » (film pornocriminel comportant une scène de meurtre filmée en direct) à des collectionneurs privés de pornographie. Dans ces films, les femmes étaient en fait mutilées, coupées en morceaux, baisées et tués – la parfaite synthèse sadienne. Les magazines et les films illustrant la mutilation des femmes pour le plaisir sexuel sont maintenant abondants. Un traducteur majeur en anglais de milliers de pages de la boucherie de Sade et le premier responsable de la publication de l’œuvre de Sade dans des éditions grand public accessibles aux États-Unis est Richard Seaver, une figure respectée dans le milieu de l’édition. Seaver, un acteur clé de la diffusion du travail de Sade et de sa légende, aurait écrit un film sur la vie de Sade qui sera réalisé par Alain Resnais. L’influence culturelle de Sade à tous les niveaux est omniprésente. Son éthique – le droit absolu des hommes de violer et brutaliser à volonté tout « objet de désir » – résonne dans toutes les sphères.
Sade est né dans une noble famille française étroitement liée au monarque régnant. Au cours de ses premières années, Sade a été élevé avec le prince, de quatre ans son aîné. Quand Sade avait quatre ans, sa mère a quitté la Cour et il a été envoyé vivre avec sa grand-mère. À l’âge de cinq ans, il est envoyé vivre chez son oncle, l’abbé de Sade, un ecclésiastique qui avait pour réputation de s’adonner à des déviances sensuelles. Le père de Sade, un diplomate et militaire, était absent pendant les années formatrices de Sade. Inévitablement, les biographes rattachent le caractère de Sade à la personnalité, au comportement et à la répression sexuelle présumée de sa mère, malgré le fait qu’il existe très peu d’informations sur elle. Ce qui est connu, mais pas suffisamment relevé, c’est que Sade a été élevé parmi des hommes puissants. Il a écrit au cours des dernières années avoir été humilié et contrôlé par ces hommes.
A quinze ans, Sade entre dans l’armée comme officier. À cet âge, il a apparemment commencé à jouer à des jeux d’argent et à fréquenter les maisons closes. Acheter des femmes était l’une des grandes passions de sa vie, et la plupart des femmes et des filles qu’il a maltraité au cours de sa vie étaient des prostituées ou des servantes. Sade a avancé dans l’armée et a été promu plusieurs fois, chaque promotion lui apportant plus d’argent.
Ces gauchistes qui défendent Sade feraient bien de se souvenir que la France prérévolutionnaire était remplie de gens affamés. Le système féodal était à la fois cruel et brutal. Les droits de l’aristocratie sur le travail et les corps des pauvres étaient incontestés et non contestables. La tyrannie de classe était absolue. Les pauvres vendaient ce qu’ils pouvaient, y compris eux-mêmes, pour survivre. Sade apprit et perpétua l’éthique de sa classe.
A près de vingt-trois ans, Sade est tombé amoureux d’une femme de sa classe sociale, Laure de Lauris. Sade vit son désir urgent de l’épouser frustré quand elle supplia son père de n’autoriser le mariage sous aucune circonstance. Sade était furieux de sa « trahison », qui était peut-être due à la maladie vénérienne qu’ils avaient attrapé tous les deux. Sade lui reprochait de l’avoir contaminé, et ses biographes, toujours crédules, l’ont cru sur parole malgré ses histoires sexuelles sordides déjà significatives. Il n’y a aucune preuve que Laure de Lauris avait un autre partenaire sexuel.
Cette même année, Sade eut un mariage arrangé avec Renée-Pélagie de Montreuil, la fille aînée d’une famille aisée. Moins de six semaines après son mariage, Sade avait loué une maison isolée et s’adonnait à ses désirs sexuels sur des femmes qu’il avait acheté.
Cinq mois après son mariage, Sade terrifia et agressa Jeanne Testard, une femme ouvrière de vingt ans. Testard, qui était fabricante d’éventails, accepta de servir un jeune noble. Elle fut amenée dans la maison privée de Sade et enfermée dans une pièce. Sade lui fit clairement comprendre qu’elle était sa prisonnière. Elle fût victime de violences verbales et d’humiliations. Sade était particulièrement enragé contre ses croyances conventionnelles chrétiennes. Il lui raconta que dans une chapelle, il s’était masturbé dans un calice et avait baisé une femme après lui avoir enfoncé deux hosties à l’intérieur. Testard dit à Sade qu’elle était enceinte et qu’elle ne pouvait tolérer de mauvais traitements. Sade amena alors Testard dans une pièce remplie de fouets, de symboles religieux et d’images pornographiques. Il voulait que Testard le fouette et qu’ensuite il la batte. Elle refusa. Il prit deux crucifix, en détruisit un et se masturba sur l’autre. Il lui ordonna qu’elle détruise celui sur lequel il s’était masturbé. Elle refusa. Il la menaça avec deux pistolets qui étaient dans la chambre et une épée qu’il portait. Elle détruisit le crucifix. Il voulut lui faire un lavement et la faire chier sur le crucifix. Elle refusa. Il voulut la sodomiser. Elle refusa. Sade la menaça, la sermonna et lui fît la leçon pendant une très longue nuit au cours de laquelle elle ne pouvait manger ou dormir. Avant de la relâcher, il lui fît signer un morceau de papier et promettre de ne dire à personne ce qu’il s’était passé. Il voulait qu’elle accepte de le rencontrer le dimanche suivant pour qu’il la baise avec une hostie à l’intérieure d’elle.
Une fois libérée, Testard se rendit à la police. Sade fût arrêté, apparemment parce que les entretiens de la police avec des prostituées avaient révélé que Sade avait abusé des dizaines d’entre elles. Sade fût puni parce qu’il était devenu moins prudent dans ses excès. Il fût emprisonné pendant deux mois à Vincennes dans la misère la plus pénible pour un noble. Il écrivit des lettres aux autorités dans lesquelles il les suppliait de garder ses crimes secrets auprès de sa famille.
Après sa sortie de prison, Sade entama une série de liaisons avec des actrices et des danseuses, qui au XVIIIe siècle étaient presque systématiquement des courtisanes. Il garda plusieurs de ces femmes et continua aussi d’acheter des femmes moins distinguées.
Moins d’un an après le terrible traitement qu’il avait fait subir à Testard, les agressions de Sade sur les prostituées étaient devenues tellement inquiétantes que la police averti les proxénètes de ne plus vendre de femmes à Sade. Le valet de Sade errait dans la rue pour trouver des victimes, dont certaines, selon les voisins de Sade, étaient des hommes.
Durant cette même période, il réussit également à mettre enceinte sa femme, qui donna naissance à un fils.
En 1768, le dimanche de Pâques, tôt le matin, Rose Keller, âgée d’une trentenaire d’années, immigrée allemande, veuve, fileuse de coton et au chômage depuis environ un mois, approcha Sade pour lui demander l’aumône. Il lui proposa de faire le ménage. Elle accepta. Il lui dit qu’elle serait bien nourrie et bien traitée.
Sade emmena Keller dans sa maison privée. Il l’emmena dans une pièce sombre dans laquelle les fenêtres étaient barricadées et lui dit qu’il allait lui chercher de la nourriture. Il l’enferma dans la pièce. Keller attendit environ une heure avant que Sade ne l’emmène dans une autre pièce. Il lui dit de se déshabiller. Elle refusa. Il lui arracha ses vêtements, la jeta la tête en bas sur un canapé, et lui attacha les bras et les jambes avec des cordes. Il la fouetta brutalement. Il prit un couteau et lui dit qu’il la tuerait. Selon Keller, Sade n’arrêtait pas de la couper avec un couteau et de frotter ses plaies avec de la cire. Keller cru qu’elle allait mourir et supplia Sade de ne pas la tuer avant qu’elle puisse faire sa confession de Pâques. Quand Sade en eut fini avec elle, il la ramena dans la première pièce et lui ordonna de se laver et de frotter du cognac sur ses blessures. Ce qu’elle fît. Il frotta également une pommade qu’il avait inventé sur ses plaies. Il était fier de son invention et prétendait qu’elle permettait de guérir les blessures rapidement. Plus tard, Sade prétendit qu’il avait payé Keller pour se faire fouetter afin qu’il puisse tester sa pommade. Sade amena de la nourriture à Keller. Il la ramena dans la pièce où il l’avait battue et l’enferma à l’intérieur. Keller verrouilla la porte de l’intérieur. Elle débloqua certains des volets verrouillés avec un couteau, se blessant au passage, fabriqua une corde avec la literie et grimpa à travers la fenêtre et le long du mur. Le valet de Sade la poursuivit et lui offrit son argent pour revenir. Elle le repoussa et s’enfuit.
Keller était grièvement blessée et ses vêtements étaient déchirés. Elle courut jusqu’à ce qu’elle croise une villageoise à qui elle raconta son histoire. D’autres femmes les rejoignirent. Elles l’examinèrent puis l’amenèrent à un fonctionnaire inapproprié, puisque le magistrat local était absent. Un agent de police appelé d’autre part recueillit sa déposition. Keller fût examinée par un chirurgien et on lui donna un refuge.
La belle-mère de Sade, Madame de Montreuil, investit une somme importante d’argent à Rose Keller pour la persuader de retirer ses accusations criminelles. Malgré cet arrangement, Sade fût emprisonné pendant près de huit mois, au cours desquels il mit de nouveau sa femme enceinte. Quand il retourna à Lacoste, où il vivait avec sa femme, elle partit pour Paris, où, sept mois plus tard, le deuxième fils de Sade est né.
Sade commença à rechercher d’autres femmes dès sa libération. Sade se glissa dans la vie de Renée-Pélagie. En avril 1771, une fille était née. En septembre 1771, Sade entama une liaison avec la sœur cadette de sa femme, Anne-Prospère.
En juin 1772, Sade se rendra à Marseille avec son valet, connu sous le nom de Latour. Au cours du bref séjour de Sade là-bas, Latour procura cinq prostituées à Sade. Sade (dans diverses combinaisons) battu, baisa et sodomisa de force ces femmes, avec ses mêmes menaces habituelles de violences graves et de mort. Il a également forcé son valet à sodomiser au moins une des femmes et lui-même. A Marseille, Sade a ajouté une autre dimension à son répertoire sexuel : il encourageait les femmes à manger des bonbons qui avaient été mélangés à de la drogue. Les femmes ne savaient pas ce qu’elles mangeaient. Les défenseurs de Sade prétendent que les bonbons étaient composés d’un aphrodisiaque inoffensif et d’un produit pour encourager les flatulences, ce que Sade trouvait particulièrement charmant. Deux des femmes sont tombées gravement malades à cause des bonbons, elles avaient d’intenses douleurs abdominales et vomissaient du sang et du mucus noir. Les femmes pensaient qu’elles avaient été empoisonnées, et il ne fait aucun doute que si elles avaient consommé les quantités de bonbons que Sade voulait leur faire manger, elles auraient été mortellement malades. L’une des femmes s’est rendue à la police. Une enquête sur la brutalité de Sade avec les cinq prostituées – la flagellation forcée, la sodomie forcée, la tentative d’empoisonnement – a conduit à un ordre d’arrêter à la fois Sade et Latour. Sade, avec Anne-Prospère comme amante et Latour comme valet de chambre, s’enfuit en Italie pour échapper à l’arrestation.
Sade et Latour ont été reconnus coupables d’empoisonnement et de sodomie (un crime capital indépendamment de la force utilisée) par contumace. Ils furent condamnés à la peine de mort. A la place de cette condamnation qui ne pouvait être exécutée en raison de leur absence, les deux hommes furent brûlés en effigie.
La belle-mère de Sade, Madame de Montreuil, confrontée à l’incorrigibilité de Sade, utilisa sa formidable influence politique pour faire emprisonner Sade en Italie, sûrement avec la volonté de séparer Anne-Prospère de Sade. Pendant les quatre mois suivants, Sade écrivait des lettres à de hauts fonctionnaires en Italie et en France dans lesquelles il se lamentait de l’injustice de son emprisonnement et suppliait pour sa libération. À la fin du quatrième mois, il s’échappa. Peu de temps après son évasion, Sade écrivit à plusieurs reprises à sa belle-mère pour lui demander de l’argent. Comme il ne recevait pas de réponse, Sade retourna à Lacoste. A son retour en France, un autre ordre d’arrestation fut émis. Il s’enfuit à nouveau. Au bout de quelques semaines, il revint à nouveau à Lacoste. Renée-Pélagie porta plainte contre sa mère, probablement dans l’espoir que cette pression inciterait Madame de Montreuil à user de son influence pour faire abandonner les charges contre Sade. Malgré la plainte contre Madame de Montreuil, un nouveau mandat d’arrêt fut lancé contre Sade. Il partit se cacher, puis revint à Lacoste. Renée-Pélagie essaya encore de faire arrêter sa mère. Ses efforts furent récompensés par la promesse de hauts responsables du gouvernement qu’un appel serait présenté au parlement pour annuler la peine de Sade. Cela conduirait alors à l’invalidation de la lettre de cachet (un ordre du roi qu’une personne donnée soit emprisonnée sans jugement et sans peine prédéterminée) qui avait également été émise contre Sade.
Sade, avec la fin de ses ennuis judiciaires en vue, intensifia sa quête du plaisir. Il demanda à une proxénète connue sous le nom de Nanon de lui trouver cinq filles de quinze ans qui furent emmenées à Lacoste et contraintes de se soumettre à la brutalité de Sade. La femme de Sade participa à ses nouvelles extravagances sexuelles. Elle devint la principale apologiste des violences de Sade contre les filles, même si, comme l’une d’entre elles en a témoigné, Renée-Pélagie était elle-même « la première victime d’une fureur qui ne peut être qualifiée que de folie.»3. Les parents de trois des filles portèrent plainte contre Sade qui refusait de libérer ses prisonnières. Une des filles fut horriblement blessée. Elle fut envoyée chez l’oncle de Sade, l’abbé, pour l’empêcher de témoigner contre lui. Renée-Pélagie fit tout son possible pour empêcher un médecin de soigner la jeune fille, car des preuves de blessures corporelles pouvaient également être utilisées contre Sade et elle-même. Madame de Montreuil, peut-être pour protéger sa fille, se joignit à Renée-Pélagie et Sade pour tenter de contraindre les parents à abandonner leurs plaintes. Pendant ce temps, Sade gardait de force les filles à Lacoste. Elles ne seraient rendues à leurs parents que si aucune accusation d’enlèvement n’était retenue.
Sade amena encore plus de femmes et de filles à Lacoste. Des ossements humains ont été retrouvés dans le jardin de Sade ; il affirmait qu’une de ses maîtresses les avait enterrés pour faire une blague. Nanon, la proxénète, tomba enceinte de Sade. Madame de Montreuil fit délivrer une lettre de cachet pour son arrestation. Nanon fut emprisonnée ; sa fille décéda à Lacoste peu de temps après sa naissance parce que le lait de la nourrice avait séché.
Sade fut de nouveau menacé d’arrestation. Il s’enfuit à nouveau en Italie. La jeune fille de quinze ans qui avait été la plus grièvement blessée et qui avait été envoyée chez l’oncle de Sade ne s’était pas, en neuf mois, remise de ses blessures. Elle fut finalement emmenée dans un hôpital où la famille Sade la manipula pour l’empêcher de parler à quiconque à qui elle pourrait révéler ce qui lui était arrivé. A ce moment-là, l’abbé pensait que Sade devait être emprisonné.
Pendant un an, Sade voyagea en Italie. Il se plaignait d’être seul. L’une des filles kidnappées, toujours détenue à Lacoste, décéda. Une autre s’échappa et alla voir la police. Contre l’avis de Renée-Pélagie, Sade revint à Lacoste. On lui procura d’autres femmes. Sade continua à dépenser de l’argent pour acheter des femmes tandis que Renée-Pélagie vivait presque dans la misère. Il engagea des domestiques, les enferma, les força à se soumettre à lui. Le père d’une domestique engagée par Sade tenta de lui tirer dessus. La fille signa une déclaration défendant Sade. Les autorités ordonnèrent que la femme soit rendue à son père. Elle ne le fut pas.
Une autre tentative fut faîte pour arrêter Sade. Il se cacha. Averti par Mme de Montreuil que sa mère se mourait à Paris, il s’y rendit. Elle mourut avant son arrivée, mais à Paris, Sade fut arrêté en vertu d’une lettre de cachet. Madame de Montreuil avait dit à la police où se trouvait Sade. Il fut envoyé à Vincennes, où il fut emprisonné pendant près de six ans. En 1784, il fut muté à la Bastille. En 1789, le peuple de France était au bord de la révolution. Sade installa un haut-parleur improvisé dans sa cellule et exhorta le peuple à assiéger la Bastille. Il fut transféré à Charenton, un asile de fous. Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise d’assaut et ses gardiens tués. En 1790, Sade est libéré de Charenton avec tous les prisonniers qui avaient été emprisonnés sous lettres de cachet par l’ancien régime.
Pendant les années de son emprisonnement à Vincennes et à la Bastille, Sade a écrit les œuvres littéraires pour lesquelles il est le plus connu (bien que sa carrière littéraire n’ait pas commencé en prison; il avait déjà écrit et même produit et dirigé des événements théâtraux de manière sporadique). A la libération de Sade, Renée-Pélagie, que Sade avait soumise à un mépris et des abus extraordinaires pendant son incarcération, le quitta et obtint une séparation légale. L’amertume de Sade envers elle était sans relâche. Apparemment, il pensait qu’il lui avait donné les meilleures années de sa vie, qui n’étaient certes pas parfaites mais seulement parce qu’il avait été sournoisement persécuté. Il blâmait surtout Renée-Pélagie pour la perte de ses manuscrits qui avaient été pris ou détruits pendant le siège de la Bastille. Elle n’avait pas réussi à les sauver, comme il l’avait demandé, et peut-être en a-t-elle brûlé elle-même. Dans les années qui suivirent, il entreprit de recréer les œuvres perdues. Après sa libération, Sade a également rencontré sa fille, qui était adulte, pour la première fois. Il la détesta tout de suite. Au début de l’année 1791, Sade commença à vivre avec Marie-Constance Renelle, à qui il dédie Justine et avec qui il a eu ce que ses biographes considèrent comme une relation sincère, aimante et dévouée. Sade n’était plus tout jeune. En prison, il était devenu très gros et la Révolution française l’avait privé de son pouvoir d’aristocrate. La nécessité, parent légendaire de l’invention, a donné naissance en quelques mois au Citoyen Sade.
Pendant près de quatre ans, Sade a marché sur une corde politique raide. Il a joué le rôle de celui qui avait été maltraité par l’ancien régime, qui n’avait aucune loyauté envers l’ancienne noblesse et qui était entièrement engagé dans la nouvelle société. Il prononça des discours politiquement corrects, rebaptisa des rues pour refléter l’idéologie de la révolution et s’efforça de protéger ses propres biens des revendications légitimes de la révolution et de Renée-Pélagie. Selon ses biographes, l’humanisme de Sade s’est manifesté essentiellement pendant la Terreur alors qu’il faisait partie d’un comité de jugement sur les Montreuil : il aurait pu les dénoncer et les faire tuer, mais il ne l’a pas fait. Il est plus probable que Sade, un survivant accompli, avait compris que, pendant la Terreur, la culpabilité par association passée pouvait mettre sa propre vie en danger. La condamnation des Montreuil aurait pu éventuellement conduire à sa propre mort pour s’être associé à eux.
Le leader révolutionnaire Jean-Paul Marat découvrit la nature des crimes pour lesquels Sade avait été emprisonné sous l’ancien régime. Il dénonça Sade mais par erreur quelqu’un avec un nom similaire fut exécuté. Marat, qui avait pris conscience de son erreur, n’eut pas le temps de vivre assez longtemps pour y remédier : il fut assassiné par Charlotte Corday.
Vers la fin de 1793, Sade fut emprisonné. L’accusation était qu’en 1791 il s’était porté volontaire pour servir le roi. Sade insista sur le fait qu’il pensait que le régiment pour lequel il s’était porté volontaire était fidèle à la révolution. Il resta en prison et en juillet 1794 il fut condamné à mort. L’administration des prisons était si inefficace que Sade n’a pas pu être trouvé. Il n’a pas été exécuté. Plus tard ce même mois, Robespierre fut exécuté, et la Terreur prit fin. Deux mois plus tard, Sade était libéré.
En 1800, Napoléon arriva au pouvoir. En mars 1801, Sade fut à nouveau arrêté, cette fois pour être l’auteur de littérature obscène (Justine, publiée en partie en 1791 et dans une nouvelle version en 1797 ; et Juliette, publiée en 1797). À l’exception de son emprisonnement pour activité antirévolutionnaire en 1793, tous les emprisonnements de Sade en France jusqu’à ce point (il avait alors soixante ans) étaient dus à des crimes brutaux qu’il avait commis contre des personnes. Sade a été emprisonné par arrêté administratif. Il a nié avoir écrit Justine ou Juliette et a particulièrement dénoncé Justine comme étant abjecte. Il fut emprisonné à Sainte-Pélagie pendant deux ans, au cours desquels il agressa sexuellement d’autres détenus. En raison de son comportement agressif à Sainte-Pélagie et en raison d’un changement de politique qui séparait désormais le traitement des criminels de celui des fous, Sade a été transféré à Bicêtre, un asile. Il était là depuis quarante-quatre jours lorsque, suite à un recours de ses fils, il fut muté à Charenton, où les conditions de vie étaient considérablement meilleures – les siennes particulièrement grâce à sa famille qui payait généreusement l’institution pour sa chambre et sa pension. Marie-Constance Renelle était autorisée à vivre à Charenton avec lui. Sade avait également été autorisé à produire des événements théâtraux coûteux, ouverts au public.
Plusieurs tentatives ont été faites pour que Sade soit renvoyé en prison, car l’avis médical était qu’il était un criminel et non un homme fou. Mais Sade était utile à la direction de Charenton, notamment en tant que metteur en scène dramatique. Sade resta à Charenton jusqu’à sa mort en 1814 à l’âge de 74 ans. Au cours des deux dernières années de sa vie, cohabitant toujours avec Renelle, il eut une liaison avec Madeleine Leclerc, qui avait peut-être quatorze ans quand sa mère la lui vendue. Comme il le nota dans son journal, il voulut et obtint d’elle une soumission absolue telle qu’il la concevait et avait apprécié toute sa vie.
« Jouer avec les poils de nez d’un éléphant est indécent lorsque l’éléphant se tient debout sur le bébé »
John Gardner, On Moral Fiction
Dans une culture qui déteste les femmes, il est particulièrement difficile de rendre crédible l’affirmation selon laquelle un crime commis contre une femme doit avoir de l’importance. La croyance que les femmes existent pour être utilisées par les hommes est si ancienne, si profondément ancrée, si largement acceptée, si banale dans son application quotidienne, qu’elle est rarement contestée, même par ceux qui se targuent et sont reconnus d’avoir une perspicacité intellectuelle et une éthique honorable. Qu’elles soient enthousiastes, sauvages et plaintives ou sobres, sévères et rigoureuses, les féministes ne cessent de désigner les femmes comme des personnes réelles, qui existent et qui doivent compter. D’autres les regardent et ne voient que des ombres insignifiantes qui se déplacent sous les pieds de ces vraies personnes à qui de vraies choses arrivent – les hommes – de sorte que dans une pièce de cent « personnes », moitié hommes, moitié femmes, un observateur homme verra cinquante hommes et cinquante ombres. Violez une ombre et regardez-la disparaître. Violez une ombre, est-ce que c’est important ? Mais parfois, les ombres s’accrochent, elles ne disparaissent pas, elles les poursuivent en mordant leurs talons et sont alors accusées de malice. Les ombres deviennent menaçantes, elles hantent. Dans les histoires et les biographies, dans les essais philosophiques et littéraires, la culture suprématiste masculine perpétue le pouvoir des hommes sur les femmes en transformant les femmes en ombres. Les iniquités honteuses de la vie sont entretenues par les distorsions et les manipulations omniprésentes dans la soi-disant non-fiction. Ce qui arrive aux hommes est dépeint comme authentique, significatif, et ce qui arrive aux femmes est laissé de côté ou montré comme n’ayant pas d’importance. Les femmes sont dépeintes comme les ombres qui suivent docilement ou hantent malicieusement les hommes, jamais comme des êtres importants qui comptent.
Ainsi le philosophe sexuel Georges Bataille, dans Érotisme : Mort et sensualité, peut écrire sans gêne (ou, jusqu’au mouvement des femmes, sans crainte d’être contredit) : « Dans sa vie, Sade a tenu compte des autres, mais sa conception de l’épanouissement travaillée sans cesse dans sa cellule solitaire l’a conduit à nier catégoriquement [par écrit] les demandes des autres. » 4 Sade, bien sûr, a catégoriquement nié les demandes d’autres personnes depuis sa jeunesse, mais les « autres personnes » étaient principalement des femmes, des femmes réelles, et elles n’ont donc aucune importance pour Bataille.
De la même manière, Donald Thomas, l’un des biographes récents de Sade, peut affirmer : « Les cruautés de sa fiction sont bien en contradiction avec presque toutes les conduites de Sade… » 5. Thomas insiste également sur le fait que les désirs sexuels de Sade étaient « largement assouvis dans sa fiction. » 6. Les corps meurtris des femmes, entassés au cours d’une vie cruelle et sans conscience, sont rejetés par une déformation facile ou un déni complet. Se rabaissant jusqu’à écrire de fausses histoires qui banalisent les brutalités de Sade envers les femmes, Thomas, avec ce tour de passe-passe intellectuel, fait disparaître la victime dans les airs :
La vraie difficulté du marquis de Sade n’était pas qu’il avait un penchant pour battre certaines des filles [sic] qu’il engageait ou qu’il les soumettait à des actes sexuels peu orthodoxes, mais plutôt qu’il l’ait fait au milieu du XVIIIe siècle, quand qu’elles étaient plus susceptibles de se plaindre et d’être entendues. 7
Il est juste de souligner que le système féodal décourageait assez efficacement les prostituées d’aller à la police avec des plaintes contre les nobles.
Simone de Beauvoir, dans un essai intitulé « Faut-il brûler Sade ? » publié pour la première fois au début des années cinquante, parvient également à rendre le crime et les victimes presque invisibles : « En fait, fouetter quelques filles [sic] (pour une contrepartie convenue à l’avance) est plutôt un petit exploit ; que Sade y attachât tant d’importance suffit à le soupçonner. » 8
Richard Seaver et Austryn Wainhouse, les traducteurs de Sade en anglais, dans leur avant-propos à un recueil de l’œuvre de Sade, nient entièrement, quoique de façon peu sincère, les droits des femmes en tant que personnes :
Avec sa perception habituelle de lui-même, Sade a une fois noté dans une lettre à sa femme que, si les autorités avaient eu la moindre idée de ce qu’il faisait, ils ne l’auraient pas enfermé pour comploter et rêver et faire des dissertations philosophiques aussi sauvages, vengeresses et absolues que jamais formulées ; ils l’auraient libéré et l’auraient entouré d’un harem sur lequel se régaler. Mais les sociétés ne répondent pas à des goûts étranges ; ils les condamnent. Ainsi Sade est devenu écrivain.
Encore une fois, les brutalités contre les femmes sont en quelque sorte transposées, cette fois en quelque chose de moins dangereux et de moins significatif que l’écriture. Les victimes du terrorisme sexuel de Sade sont moins importantes que les « réflexions philosophiques ». Cette évaluation n’est pas le résultat final d’un quelconque dilemme moral ; elle est entièrement inconsciente.
Tome après tome, les biographes de Sade écrivent sur les femmes agressées par Sade soit à l’encre invisible soit avec mélancolie. Norman Gear, dans The Divine Demon, est à la fois fantasque et mignon :
N’avait-il pas été plus que puni pour ses péchés ? Et à quoi, après tout, s’élevaient-ils ? Il avait fait un peu mal à quelques filles et femmes, mais pas vraiment, et aucune d’entre elles n’avait été sérieusement blessée. Il avait séduit des filles, mais il n’en avait jamais violé. La plupart des femmes qu’il avait utilisé dans ses orgies étaient venues à lui assez volontiers, contre rémunération, ou, assez curieusement, parce qu’elles l’aimaient… Même la pauvre Rose Keller s’était vite remise de sa raclée, et avait été très bien récompensée pour une semaine avec un mal de dos. Quant aux putains de Marseille, elles avaient été payées pour leurs services et n’avaient pas enduré pire que d’habitude.10
Jean Paulhan, un missionnaire sadien, s’indigne que Sade, un être significatif, ait été emprisonné pour avoir violé des ombres :
Il semble établi que Sade a donné une fessée à une pute à Paris : cela vaut-il à un an de prison ? Des douceurs aphrodisiaques à des filles [sic] à Marseille : cela justifie-t-il dix ans à la Bastille ? Il séduit sa belle-sœur : cela justifie-t-il un mois à la Conciergerie ? Il cause des soucis sans fin à ses puissants et redoutables beaux-parents…cela justifie-t-il deux ans dans une forteresse ? Il permet à plusieurs modérés de s’échapper (nous sommes en pleine Terreur) : cela justifie-t-il un an aux Madelonnettes ? Il est reconnu qu’il a publié des livres obscènes, qu’il a attaqué l’entourage de Bonaparte ; et il n’est pas impossible qu’il ait feint la folie. Cela justifie-t-il quatorze ans à Charenton, trois à Bicêtre et un à Sainte-Pélagie ? N’apparaîtrait-il pas fortement comme si, pour toute une série de gouvernements français, toutes les excuses suffisaient pour le mettre derrière les barreaux ? 11
Paulhan ne cite ni les crimes réels de Sade ni ses peines réelles d’emprisonnement ; sa version de la correspondance entre les deux est tout à fait fantaisiste. Mais les conséquences de son inexactitude ne le sont pas : Sade la Victime est écrit en gros ; les victimes de Sade sont rayées de la carte.
Les biographes de Sade tentent de justifier, de banaliser ou de nier (même si des documents confirmant les faits existent) toutes les agressions que Sade a commises contre des femmes et des filles. Surtout, des efforts acharnés sont déployés pour démentir l’enlèvement et la torture de Rose Keller, la première victime déclarée de Sade qui n’était pas prostituée.
La violence contre les prostituées, peu importe sa férocité, n’est rien de moins qu’une réalité acceptable de la vie. Qui, demandent les biographes avec un étonnement moqueur, peut nier que ces « filles » sont là pour être utilisées ? Le droit de l’homme au plaisir sexuel selon ses propres termes est un droit naturel. Le plaisir sexuel inclut par définition ou justifie intrinsèquement l’usage de la force, de la ruse ou de la violence. Le coût pour la santé ou le bien-être de la prostituée ne signifie rien. Sa propre volonté n’a aucune valeur et n’a aucune prétention à la valeur. L’usage de la force contre les prostituées ne signifie rien. La liberté, ce mot sacré, n’a de valeur que lorsqu’il est utilisé en référence au désir masculin. Pour les femmes, la liberté signifie seulement que les hommes sont libres de les utiliser.
En décrivant ce que l’on appelle généralement l’incident Rose Keller – un remarquable euphémisme – même les biographes de Sade semblent reconnaître que leur héros a fait quelque chose de vraiment méchant – à moins que Rose Keller ne soit une pute ou une menteuse, auquel l’utilisation qu’en fait Sade est sans conséquence. Ils ont donc entrepris de prouver qu’elle était les deux, une tâche rendue facile non pas par la vérité (elle n’était ni l’une ni l’autre) mais par le pouvoir des biographes de définir leurs termes eux-mêmes dans les limites acceptées d’une société haïssant les femmes. Rose Keller était une pute parce que toutes les femmes, surtout les femmes de la classe ouvrière, sont des putes ; Rose Keller était une pute parce que toute femme qui a faim ou qui est au chômage va se prostituer ; Rose Keller était une pute parce qu’il n’y a aucune preuve absolue du contraire pour chacun des jours de sa vie ; Rose Keller était une pute parce que Sade disait qu’elle était une pute ; Rose Keller était une pute car, après avoir été torturée et s’être échappée, elle a accepté de l’argent de la belle-mère de Sade. Rose Keller était une menteuse parce que toutes les femmes sont des menteuses, surtout lorsqu’elles accusent les hommes de les forcer à avoir des rapports sexuels ; Rose Keller était une menteuse parce que Sade disait qu’elle était une menteuse ; Rose Keller était une menteuse parce qu’elle a accepté de l’argent, ce qui prouvait qu’elle avait inventé l’histoire pour obtenir de l’argent ; Rose Keller était une menteuse car qui était-elle de toute façon comparée à l’héroïque Sade ?
Hobart Ryland, le traducteur en anglais de l’Adélaïde de Brunswick de Sade, a affirmé que Keller « avait inventé une histoire fantastique » 12. Geoffrey Gorer a mis en doute la crédibilité de Keller par une analyse minutieuse des détails : « Une femme aussi grièvement blessée aurait sûrement eu quelques difficultés à grimper aux murs. » 13. Thomas a reconnu que « des lésions corporelles graves ont été infligées à la jeune femme. », et il a sévèrement réprimandé qu’ « il n’était pas question de l’excuser même si elle était une pute. » 14. L’excusant néanmoins, Thomas qualifia la torture de Keller par Sade comme « une heure ou deux plutôt désagréables, et quelques minutes d’inconfort réel pas très éloigné en degré d’une visite chez un dentiste du XVIIIe siècle. » 15. L’argent en valait la peine et « les hommes sensés relativisaient et savaient qu’il ne s’agissait que d’un incident » 16. Ronald Hayman, l’auteur d’une soi-disant biographie critique, joue la même note minable : « Des dizaines d’hommes prenaient leur plaisir à peu près de la même manière ; des dizaines de filles [sic], sans aucun doute, exploitaient la situation pour ce qu’elle valait. L’argent était un analgésique efficace » 17. Angela Carter, dans un récent essai littéraire pseudoféministe, affirme que Keller « a eu recours au chantage et qui peut la blâmer ? » 18. Entrant dans le domaine de l’affectation littéraire jusque-là réservé aux garçons, Carter écrit : « L’affaire m’enchante. Elle a la complétude et la lucidité d’un scénario de Brecht. Une femme du troisième degré, une mendiante, la plus pauvre des pauvres, transforme les vices mêmes des riches en armes pour les faire disparaître. » 19. Sa folie des grandeurs est très proche de celle de Hayman, qui met en garde :
Encore une fois, il ne faut pas croire que Sade s’amusait. Faisait-il même ce qu’il avait envie de faire ? Comme l’a dit Gide : « On ne peut jamais savoir dans quelle mesure on ressent quelque chose et dans quelle mesure on joue à ressentir. Cette ambivalence constitue le sentiment. « 20
Mais c’est Roland Barthes qui prive le plus impitoyablement Rose Keller de sa vraie vie afin de maintenir la légende de Sade dans une jolie prose, quoique dénuée de sens :
Dans le désengagement total de la valeur produite par le plaisir du Texte, ce que je comprends de la vie de Sade n’est pas le spectacle, bien que grandiose, d’un homme opprimé par toute une société à cause de sa passion, ce n’est pas la contemplation solennelle d’un destin, c’est, entre autres, cette manière provençale dont Sade dit « milli » (mademoiselle) Rousset, ou milli Henriette, ou milli Lepinai, c’est son manchon blanc quand il aborde Rose Keller… 21
Le manchon blanc de Sade compte.
Toutes les filles et les femmes blessées par Sade sont traitées par les biographes et les intellectuels avec ce même mépris endémique. Un échange d’argent, d’homme à femme, efface particulièrement le crime, annule le mal – que le commentateur soit un biographe banal ou un grand critique littéraire. L’utilisation de l’argent pour acheter des femmes est apparemment fascinante. L’argent autorise magiquement tout crime contre les femmes. Une fois qu’une femme a été payée, le crime est expié. Le fait qu’aucun mal réel n’ait été fait, peu importe ce qui a été fait, est un thème particulièrement important. Ce point trouve un écho dans l’étude de l’Institut Kinsey sur les délinquants sexuels (voir pages 188-198) et dans un vaste corpus d’analyses sociales contemporaines qui, explicitement ou implicitement, définissent la liberté sexuelle comme le fait que des hommes puissent faire ce qu’ils veulent sans résistance stupide de la part des femmes « puritaines » ou « refoulées » qui sont incapables de connaître ou de dire la vérité sexuelle. Selon Gear, les prostituées empoisonnées à Marseille avaient « des maux d’estomac et n’ont pas tant souffert de leurs aventures. » 22. Selon Thomas, les prostituées marseillaises, dont il reconnaît qu’elles avaient été empoisonnées, se sont adressées à la police parce qu’elles « n’avaient que trop hâte de trouver un méchant sur qui rejeter tous leurs maux et toute la désapprobation officielle » 23. Selon Hayman, « il était évident que l’empoisonnement était accidentel. . . [Sade] n’avait aucun motif concevable pour vouloir les assassiner. » 24. Pour donner crédit là où cela est dû : Edmund Wilson, en 1952, réagissant aux défenses insensées des crimes de Sade parmi les littéraires, a affirmé qu’« il n’y a pas la moindre preuve pour supposer que [les bonbons] n’étaient pas destinés, si ce n’est à tuer les filles [sic], au moins à avoir des résultats douloureux, et le comportement de Sade lui-même, tel que rapporté par l’une des filles [sic], semble décidément montrer qu’ils l’étaient. » 25 Une fois que l’on est entré dans le domaine du discours existant sur Sade, la volonté de Wilson de croire le témoignage de « l’une des filles » est presque choquante.
La colère vengeresse des flagorneurs sadiens est cependant réservée à Madame de Montreuil, la belle-mère de Sade, la seule femme qui de son vivant a tenté de l’arrêter. La stratégie des critiques avec les victimes pauvres est de les effacer. Madame de Montreuil ne peut pas être effacée. Elle est responsable de l’emprisonnement de Sade en Italie, de l’émission de plusieurs lettres de cachet à son encontre. À différentes étapes de la vie de Sade, elle a aussi tenté de le sortir du pétrin, de réconcilier Sade avec son mariage et avec sa femme. En tant que femme active, en tant que mère, en tant que personne qui a pris des mesures pour restreindre les vices cruels d’un mâle, la vie de Madame de Montreuil insulte monumentalement les biographes de Sade. Selon Gorer, « son seul objectif était la destruction de Sade. » 26. Il spécule également qu’elle était jalouse de la relation de Sade avec sa fille cadette ; cette jalousie « l’a poussée à l’attaquer et à le ruiner du mieux qu’elle pouvait au cours des trente années suivantes. » 27. D’après les divers biographes : Madame de Montreuil convoitait Sade mais il la refusa ; elle n’avait rien à faire de son temps et se mit donc à comploter contre son gendre ; elle était une femme vengeresse et sadique qui choisit Sade comme victime ; elle était susceptible et en voulait aux commérages sans fin sur les diverses atrocités commises par Sade, et elle a donc essayé de le faire assassiner par l’État ; elle jalousait sa fille cadette, que Sade lui avait prise ; a dû marier sa fille cadette, dans la vie de laquelle Sade s’était immiscé ; était impitoyable et méchante parce que les femmes qui se mêlent des affaires des hommes le sont. Edmund Wilson fait preuve d’une certaine charité en déclarant : « Non : on ne peut pas reprocher à la famille de Sade de l’avoir enfermé. » 28. Mais Madame de Montreuil, mère de deux filles toutes deux ruinées par Sade, qui s’est occupé des enfants de Sade dans les années où Renée-Pélagie vivait avec lui en tant que participante à ses crimes, n’est rachetée par aucune vague sympathie des critiques. Dans la littérature sur Sade, elle est la méchante, celle qui était cruelle, celle qui abusait du pouvoir, celle qui était sadique, celle qui était dangereuse, celle qui aurait dû être arrêtée.
Tout au long des écrits sur Sade, sa propre mère et René Pélagie sont insultées de manière léthargique et désordonnée. D’autres femmes étaient plus importantes pour Sade ; ses amis littéraires sont heureux d’avoir les mêmes priorités. Ceux qui sont incapables d’imaginer la souffrance de quelqu’un qui a été kidnappé et torturé, empoisonné et violé, ne peuvent pas s’attendre à saisir la souffrance complexe et à long terme des femmes en captivité légale. La mère de Sade est particulièrement accusée de s’être repliée sur la religion. Elle est également blâmée d’être morte, puisque Sade a été arrêté alors qu’il tentait de lui rendre visite sur son lit de mort. Renée-Pélagie est surtout accusée d’avoir quitté Sade et d’avoir brûlé certains de ses manuscrits, ce qu’elle a peut-être fait ou non. On lui reproche aussi de vieillir, de grossir, de devenir aveugle. On lui reproche également d’être sexuellement réprimée, c’est-à-dire pas particulièrement désireuse de satisfaire les appétits de Sade. Elle n’est pas blâmée pour ses années de loyauté envers Sade, ses efforts pour le garder hors de prison, ses tentatives pour faire arrêter sa mère, ou sa participation à la torture sexuelle et physique de cinq jeunes filles de quinze ans aux côtés de Sade. La violence de Sade à l’égard de Renée-Pélagie, contrairement à celle qu’il exerçait sur d’autres femmes, était pleinement autorisée par la loi. En tant que mari, il avait le droit de faire ce qu’il voulait d’elle. Il avait aussi le droit de dépenser son argent, ce qu’il faisait. La sauvagerie de sa vie a créé l’étrange désespoir de celle de Renée-Pélagie. Le cauchemar de sa vie s’est perdu dans la célébration de celle de Sade.
Répète les syllabes
jusqu’à ce que la leçon soit pompée à travers le cœur :
Nicriven, accusé de lascivité, brûlé en I569.
Barbara Gobel, décrite par ses geôliers
comme « la plus belle femme de Würzburg »
brûlée en 1629, à l’âge de dix-neuf ans.
Frau Peller, violée par les tortionnaires de l’Inquisition
parce que sa sœur s’est refusée
au juge de sorcières Franz Buirman, 1631.
Maria Walburga Rung, jugée par un tribunal laïque
à Manheim comme sorcière,
libérée comme « simple prostituée »
accusée à nouveau par la cour épiscopale
à Eichstadt, torturée jusqu’à la confession,
puis brûlée vive, 1723, âgée de vingt-deux ans.
Que m’ont-ils fait ?
Robin Morgan, « Le réseau de la mère imaginaire »
Camus a capturé l’essence de la légende de Sade lorsqu’il a écrit : « Sa demande désespérée de liberté a conduit Sade dans le royaume de la servitude. . . » 29. Dans toute la littérature qui lui est consacrée, avec quelques petites nuances, Sade est considéré comme un homme dont l’appétit vorace était la liberté ; cet appétit a été cruellement puni par une société injuste et répressive. L’idée est que Sade, appelé par Apollinaire « le plus libre des esprits à avoir vécu jusqu’à présent », 30 était un monstre au sens où le mot était défini auparavant : quelque chose d’anormalement merveilleux. La violation par Sade des frontières sexuelles et sociales, dans ses écrits et dans sa vie, est considérée comme intrinsèquement révolutionnaire. Le caractère antisocial de sa sexualité est perçu comme un défi radical à une société morte dans ses conventions sexuelles répressives. Sade est vu comme un hors-la-loi au sens mythique du terme, une grande figure de la rébellion en action et dans la littérature dont la faim sexuelle, telle une bombe de terroriste, menaçait de briser l’ordre établi. L’emprisonnement de Sade est perçu comme une démonstration du despotisme d’un système qui doit contenir, contrôler et manipuler la sexualité, ne pas la laisser courir librement vers un épanouissement anarchique. Sade est considéré comme la victime de ce système cruel, comme quelqu’un qui a été puni à cause de la bravoure de son antagonisme envers ce système. La légende de Sade est particulièrement animée par la fausse affirmation, largement répandue, selon laquelle il aurait pourri en prison la majeure partie de sa vie en guise de punition pour des écrits obscènes. On pense généralement que l’histoire de Sade est la suivante : c’était un génie dont l’esprit était trop grand pour les mesquins puritains qui l’entouraient ; il a été enfermé pour son abandon sexuel, notamment par écrit ; il fut maintenu en prison parce que rien d’autre ne pouvait désamorcer le danger qu’il faisait peser sur l’ordre établi ; il a été victimisé, injustement emprisonné, persécuté, pour avoir osé exprimer des valeurs sexuelles radicales dans sa vie et dans ses écrits ; en tant que « le plus libre des esprits à avoir vécu jusqu’à présent », son être même était une insulte à un système qui exigeait la conformité. C’est à Erica Jong qu’il revient de soutenir, dans un article de Playboy (« You Have to Be Liberated to Laugh »), que Sade a été emprisonné pour son sens de l’humour.
Ceux qui ont écrit sur Sade sont fascinés à la fois par sa vie et son œuvre, et il est impossible de savoir si la légende de Sade aurait pu perdurer si l’une avait existé sans l’autre. Edmund Wilson, repoussé par le travail de Sade, est fasciné par sa vie. Simone de Beauvoir, repoussée par la vie de Sade, est fascinée par son travail. La plupart de ces écrivains le prônent plutôt qu’ils ne l’analysent, s’éprennent de lui en tant que sujet précisément parce que ses obsessions sexuelles sont à la fois interdites et courantes. Les livres et les essais sur Sade sont en croisade, romantisants, mystifiants au sens littéral (c’est-à-dire intentionnellement déroutants pour l’esprit). Imprégnés d’une passion missionnaire, ils se résument à ceci : Sade est mort pour vous, pour tous les crimes sexuels que vous avez commis, pour tous les crimes sexuels que vous voulez commettre, pour chaque crime sexuel que vous pouvez imaginer commettre. Sade a souffert parce qu’il a fait ce que vous voulez faire ; il a été emprisonné comme vous pourriez être emprisonné. Le « vous » est masculin. La liberté qu’on attribue à Sade, c’est la liberté telle que les hommes la conçoivent. La souffrance ou la victimisation de Sade, quelle qu’en soit la cause ou le degré, est authentique parce qu’un homme l’a vécue (Sade en prison, les écrivains en contemplation morbide d’un homme abattu). Jamais la vie d’une femme n’a été autant adorée ; jamais la souffrance d’une femme n’a été aussi pleurée ; aucune éthique, action ou obsession d’une femme n’a été autant sanctifiée dans la recherche du sens de la liberté par les hommes.*
Le contenu essentiel de la légende de Sade a été créé par Sade lui-même, en particulier dans ses lettres de prison et dans les discours philosophiques décousus qui imprègnent sa fiction. Maurice Heine, un libertaire de gauche, et son disciple Gilbert Lély, les premiers soi-disant experts de Sade, ont réécrit les auto-justifications élaborées de Sade, en les transmutant en faits acceptés. Sade a écrit sa propre légende ; Heine et Lely l’ont ressuscitée ; les auteurs ultérieurs l’ont paraphrasée, défendue et embellie.
Dans les lettres, Sade est militant, avec l’orgueil d’une personne martyrisée pour sa droiture : « Le malheur ne m’abaissera jamais… » écrivait-il à Renée-Pélagie de Vincennes en 1781. « Je ne prendrai jamais le cœur d’un esclave. Si ces misérables chaînes me conduisaient à la tombe, vous me verriez toujours le même. J’ai le malheur d’avoir reçu du Ciel une âme résolue qui n’a jamais pu céder et ne le fera jamais. Je n’ai absolument aucune crainte d’offenser qui que ce soit. ». 31.
C’est Sade qui a peint le portrait de Madame de Montreuil que ses biographes dressent désormais, sans l’intervention du maître, par dizaines. Comme l’écrit Sade : « Cette terrible torture ne suffit pas selon cette horrible créature : elle doit encore s’accentuer par tout ce que son imagination peut inventer pour en faire redoubler l’horreur. Vous admettrez qu’il n’y a qu’un seul monstre capable de se venger à un tel point. » 32
La défense par Sade de tout ce qu’il a fait est très simple : il n’a jamais rien fait de mal. Cette défense comporte deux volets distincts. Premièrement, il n’a rien fait de ce dont il était accusé qui pourrait justifier l’emprisonnement, car personne ne pouvait prouver qu’il l’avait fait, y compris des témoins oculaires dont la parole ne pourra jamais égaler la sienne : « Le témoignage d’un enfant ? Mais c’était un serviteur ; ainsi, en tant qu’enfant et serviteur, on ne peut le croire. » 33. Deuxièmement, tout ce qu’il avait fait était une pratique courante. Ces deux courants contradictoires d’autodéfense fusionnent souvent pour révéler le Sade obscurci par ses apologistes hypnotisés. Ici, il se défend, encore une fois auprès de sa femme, vis-à-vis de ses abus sur les cinq filles de quinze ans procurées à l’origine par Nanon, qui plus tard a donné naissance à son enfant :
Je pars avec elles ; Je les utilise. Six mois plus tard, des parents viennent exiger leur retour. Je les rends [il ne l’a pas fait], et soudainement une accusation d’enlèvement et de viol est portée contre moi. C’est une monstrueuse injustice. La loi sur ce point est . . . ainsi : il est expressément interdit en France à toute proxénète de fournir des vierges, et si la jeune fille fournie est vierge et porte plainte, ce n’est pas l’homme qui est inculpé mais le proxénète qui est sévèrement puni sur-le-champ. Mais même si le délinquant masculin a demandé une vierge, il n’est pas passible de punition : il fait simplement ce que font tous les hommes. C’est, je le répète, le proxénète qui lui a fourni la fille et qui sait parfaitement qu’il lui est expressément interdit de le faire, qui est coupable. Donc ce premier chef d’accusation contre moi à Lyon d’enlèvement et de viol était tout à fait illégal : je n’ai commis aucun délit. C’est la proxénète à qui je me suis adressé qui est passible de châtiment, pas moi. 34
L’utilisation des femmes, pour Sade, était un droit absolu, qui ne pouvait en aucun cas être limité ou abrogé. Son indignation d’avoir été puni pour ses agressions contre des femmes n’a jamais diminué. Sa prétention à l’innocence reposait finalement sur une simple affirmation : « Je ne suis coupable que d’un simple libertinage tel qu’il est pratiqué par tous les hommes plus ou moins selon leurs tempéraments ou leurs tendances naturelles » 35. Les liens fraternels de Sade n’étaient apparents que lorsqu’il utilisait les crimes d’autres hommes pour justifier les siens.
Sade a désigné le « libertinage » comme thème principal de son œuvre. Richard Seaver et Austryn Wainhouse, dans une préface à un recueil d’œuvres de Sade, soulignent avec une grave insistance que « libertin » vient du latin liber, qui signifie « libre ». » En fait, à l’origine un libertin était un esclave affranchi. L’utilisation du mot par Sade contredit son sens premier, malgré la prétention de ses traducteurs flagorneurs. Pour Sade, le libertinage était l’utilisation cruelle d’autrui pour son propre plaisir sexuel. Le libertinage de Sade exigeait l’esclavage ; le despotisme sexuel mal nommé « liberté » est l’héritage le plus durable de Sade.
Le travail de Sade est presque indescriptible. En quantité d’horreur, il est sans précédent dans l’histoire de l’écriture. Dans son engagement fanatique et pleinement réalisé à dépeindre et à se complaire dans la torture et le meurtre pour satisfaire la luxure, il soulève la question si centrale de la pornographie en tant que genre : pourquoi ? Pourquoi quelqu’un a-t-il fait (fabriqué) cela ? Dans le cas de Sade, le motif le plus souvent cité est la vengeance contre une société qui le persécutait. Cette explication ne tient pas compte du fait que Sade était un prédateur sexuel et que la pornographie qu’il a créée faisait partie de cette prédation.
Il ne suffit pas de qualifier l’éthique de Sade en tant que violeur. Pour Sade, le viol était un mode de violation modeste, pas entièrement gratifiant. Dans le travail de Sade, le viol est un préliminaire, une préparation à l’événement principal, qui est la mutilation jusqu’à la mort. Le viol est une dimension essentielle car la force est fondamentale dans la conception des rapports sexuels chez Sade. Mais au fil du temps, avec la répétition, cela pâlit, devient ennuyeux, un gaspillage d’énergie prodigieux à moins qu’il ne s’accompagne de la torture, et souvent du meurtre de la victime. Sade est un artiste littéraire accompli dans le genre de la représentation sensationnelle de la violence, en particulier des mises en scène de violences réelles : l’orgasme finit par exiger le meurtre. Les victimes sont découpées en tranches, empalées sur des pieux, brûlées vives, rôties lentement à la broche, mangées, décapitées, écorchées jusqu’à la mort. Le vagin et le rectum des femmes sont cousus pour être déchirés. Les femmes sont utilisées comme tables sur lesquelles des aliments brûlants sont servis, sur lesquelles des bougies sont brûlées. Il faudrait les milliers de pages que Sade lui-même a utilisées pour énumérer les atrocités qu’il a décrites. Néanmoins, certains thèmes émergent.
Dans la fiction de Sade, hommes, femmes, garçons et filles sont utilisés, violés, détruits. Au sommet, aux commandes, se trouvent les libertins, pour la plupart des vieillards, des aristocrates, puissants en raison de leur sexe, de leur richesse, de leur position et de leur cruauté. Sade décrit la sexualité de ces hommes essentiellement comme une addiction : chaque acte sexuel contribue au développement d’une tolérance ; c’est-à-dire que l’excitation nécessite plus de cruauté à chaque fois, l’orgasme nécessite plus de cruauté à chaque fois ; les victimes doivent être à la fois plus nombreuses et plus abjectes. Tous ceux qui sont inférieurs aux aristocrates du sommet, en richesse, en statut social ou en capacité de cruauté deviennent de la chair à canon sexuelle. Les épouses, les filles et les mères sont particulièrement pointées du doigt pour le ridicule, l’humiliation et le mépris. Les domestiques des deux sexes et les femmes prostituées constituent la principale population de personnes maltraitées, démembrées, exécutées. Les actes lesbiens décorent le massacre ; elles sont imaginées par un homme pour des hommes ; elles sont tellement imaginées par des hommes que la baise divine imprégnée de meurtre est leur seule résolution possible.
Dans la majeure partie du travail de Sade, les femmes victimes sont largement plus nombreuses que les hommes victimes, mais sa cruauté n’exclue personne. Il manifeste une dominance pansexuelle – le mâle qui ne connaît pas de limites mais qui déteste encore plus les femmes.
Alors que les aristocrates au sommet ne sont jamais mutilés, ils sont, à leur propre commande, fouettés et sodomisés. Ils restent entièrement sous contrôle même lorsqu’ils sont fouettés ou sodomisés. Tout ce qu’ils font ou qui leur est fait est commis dans le but de les amener à l’orgasme selon leurs propres conditions. Sade a établi l’impuissance comme une caractéristique du libertin vieillissant : des crimes de plus en plus vils sont nécessaires pour obtenir une érection et une éjaculation. George Steiner, peut-être à son honneur, ne parvient pas à apprécier l’importance de la progression de la luxure dans l’œuvre de Sade, en particulier dans Les 120 jours de Sodome : « En bref : étant donné la complexité physiologique et nerveuse du corps humain, le nombre de façons dont l’orgasme peut être atteint ou arrêté, l’ensemble des modes de rapports sexuels sont fondamentalement finis. Les mathématiques du sexe s’arrêtent quelque part dans la région de soixante-neuf ; il n’y a pas de séries transcendantales. » 36. Affichant sa propre misogynie, Steiner poursuit en disant que « les choses sont restées assez généralement les mêmes depuis que l’homme a rencontré pour la première fois la chèvre et la femme. » 37. Mais Sade dit justement que les hommes se sont rassasiés trop tôt de ce qu’ils ont eu, quel qu’il soit, surtout les femmes, les chèvres aussi.
Dans la fiction de Sade, les hommes du sommet échangent et partagent les victimes dans une tentative de forger une communauté fondée sur une sexualité commune, bien que carnivore. La victime partagée aboutit à l’orgasme partagé, un lien entre les personnages masculins et entre l’auteur et ses lecteurs masculins.
Les hommes en haut partagent aussi la merde des victimes. Ils contrôlent l’élimination et la propreté physique, un stratagème qui évoque les camps de la mort nazis. Ils mangent des crottes et contrôlent le régime alimentaire de leurs victimes pour contrôler la qualité des crottes. Alors que les valeurs freudiennes s’appliquent ici – l’anal étant révélateur de l’avidité, de l’obsession de la richesse matérielle – les excréments, comme le sang, comme la chair elle-même, sont ingérés parce que ces hommes sont allés au-delà du vampirisme vers une sexualité entièrement cannibale.
On fait grand cas du fait que deux des personnages principaux de Sade, Justine et Juliette, sont des femmes. Juliette surtout est citée comme une femme émancipée parce qu’elle s’adonne à la mutilation et au meurtre avec toute la facilité spectaculaire des personnages masculins de Sade ; c’est elle qui sait prendre du plaisir, transformer la douleur en plaisir, l’esclavage en liberté. Les amis littéraires de Sade prétendent que c’est une question d’attitude : nous avons ici Justine, violée, torturée, bafouée, et elle déteste ça, donc c’est une victime ; ici nous avons Juliette, violée, torturée, bafouée, et elle adore ça, donc elle est libre. Comme l’exprime Roland Barthes :
Le cri est la marque de la victime ; elle fait d’elle-même une victime parce qu’elle choisit de crier ; si, sous le même dépit elle éjaculait [sic], elle cesserait d’être victime, se transformerait en libertine : crier / jouir, ce paradigme est le début du choix, c’est à dire au sens Sadien. 38.
Le « sens sadien » se réduit alors à la prédication plus familière : si vous ne pouvez rien y faire (et je veillerai à ce que vous ne le puissiez pas), allongez-vous et profitez-en. Dans les écrits critiques sur la pornographie de Sade, le viol au sens criminel existe principalement comme un jugement de valeur subjectif de la personne qui a été utilisée, à qui l’hystérie est toujours attribuée. Les femmes, selon Sade, Barthes et consorts, peuvent et doivent choisir de vivre le viol des femmes comme les hommes le vivent : comme un plaisir.
Le point de vue de Sade sur les femmes a été salué par Apollinaire comme prophétique : « Justine est une femme comme elle l’a été jusqu’ici, esclave, misérable et moins qu’humaine ; son vis-à-vis, Juliette, représente la femme dont il anticipait l’avènement, une figure que les esprits n’ont pas encore conçu, qui naît de l’humanité, qui aura des ailes et qui renouvellera le monde. » 39
Justine et Juliette sont les deux figures féminines prototypiques de la pornographie masculine en tous genres. Les deux sont des poupées de cire dans lesquelles des choses sont insérées. L’une souffre et est provocante dans sa souffrance. Plus elle souffre, plus elle provoque les hommes pour la faire souffrir. Sa souffrance est excitante ; plus elle souffre, plus ses bourreaux sont excités. Elle devient alors responsable de sa souffrance, puisqu’elle l’invite par la souffrance. L’autre se délecte de tout ce que les hommes lui font ; c’est la femme qui aime ça, peu importe le « ça. » Chez Sade, « l’attitude » (pour reprendre le mot de Barthes) dont dépend le statut de victime ou de maître est une attitude envers le pouvoir masculin. La victime refuse en effet de s’allier au pouvoir des hommes, d’en assumer les valeurs. Elle crie, elle refuse. Les hommes conceptualisent cette résistance comme une conformité à des notions féminines ridicules sur la pureté et la bonté ; alors qu’en fait la victime refuse de s’allier à ceux qui réclament sa complicité dans sa propre dégradation. La dégradation est implicite en habitant un univers prédéterminé dans lequel on ne peut pas choisir ce qu’on nous fait, seulement notre attitude (crier, jouir) envers ce qui nous est fait. Incapable de manifester sa résistance en tant que pouvoir, la femme qui souffre la manifeste en tant que passivité, à l’exception du cri.
La soi-disant libertine se recrée à l’image de l’homme le plus cruel (le plus puissant) qu’elle puisse trouver et en s’alliant avec lui, elle acquiert une partie de son pouvoir sur les autres. Les femmes libertines dans le travail de Sade sont toujours subordonnées à leurs homologues masculins, toujours dépendantes d’eux pour la richesse et le maintien d’une bonne santé. Elles ont une anatomie féminine par décret, c’est-à-dire que Sade le dit. À tous les autres égards – valeurs, comportements, goûts, même dans un détail aussi symptomatique que l’éjaculation du sperme, ce qu’elles font toutes – les femmes libertines de Sade sont des hommes. Elles sont, en fait, des travestis littéraires.
Sade lui-même, dans une note de bas de page de Juliette, revendiquait une authenticité pour Juliette basée sur sa conviction que les femmes sont plus malveillantes que les hommes «… plus un individu est sensible, plus cette Nature atroce le fera se plier aux lois irrésistibles du mal ; c’est pourquoi les femmes s’y abandonnent avec plus d’ardeur et l’exécutent avec plus d’art que les hommes. » 40. Le message que les femmes sont mauvaises et doivent être punies imprègne l’œuvre de Sade, que les figures de femmes en question soient censées représenter le bien ou le mal. La bassesse des femmes et une haine intense des organes génitaux féminins sont des thèmes majeurs dans chaque opus Sadien. Les personnages, hommes et femmes, font preuve d’une profonde aversion et dégoût du vagin. La pénétration anale n’est pas seulement préférée ; souvent, le vagin doit être caché pour que l’homme soit excité. Les femmes libertines de Sade sont éloquentes sur l’infériorité du vagin par rapport au rectum. Alors que les garçons et les hommes sont utilisés dans les meurtres de luxure de Sade, les femmes sont écorchées pour toutes les caractéristiques qui les distinguent des hommes. Dans le schéma de Sade, les femmes sont massacrées de manière agressive parce que les femmes sont répugnantes en tant qu’êtres biologiques et émotionnels. L’arrogance des femmes à revendiquer des droits sur leur propre corps est particulièrement offensante pour Sade. Toute prétention arrogante à l’intégrité corporelle de la part d’une femme doit être férocement et horriblement punie. Mêmelorsque Sade, à un ou deux endroits, insiste sur le droit des femmes d’avorter à volonté, sa célébration soutenue de l’avortement en tant que meurtre chargé d’érotisme, place l’avortement dans le contexte de son propre système de valeurs totalement et irrémédiablement masculin : dans ce système, les femmes n’ont aucun droit corporel.
Un érudit religieux, John T. Noonan, Jr., nomme Sade « le premier en Europe occidentale à faire l’éloge de l’avortement… » 41. Citant Noonan, Linda Bird Francke, dans The Ambivalence of Abortion, affirme que le plaidoyer de Sade en faveur de l’avortement a joué un rôle déterminant dans la décision papale d’interdire l’avortement à partir de la gestation. Caractérisant le travail de Sade comme faisant partie du mouvement pro-avortement, elle affirme que Sade « a en fait vanté les valeurs de l’avortement. » 42. Sade vantait la valeur sexuelle du meurtre et il considérait l’avortement comme une forme de meurtre. Pour Sade, l’avortement était un acte sexuel, un acte de luxure. Dans son système, la grossesse exigeait toujours le meurtre, généralement le meurtre de la femme enceinte, rendu plus excitant si elle était à un stade avancé de la grossesse. Rien ne pourrait être calculé pour plaire davantage à Sade que la mort horrible de femmes massacrées lors d’avortements illégaux. C’est la sexualité de Sade réalisée.
Dans l’œuvre de Sade, les garçons et les filles sont mutilés, violés, torturés, tués. Les hommes s’en prennent particulièrement à leurs filles, les élevant parfois spécifiquement pour devenir des amantes, les violant le plus souvent puis les transmettant à des amis proches pour qu’elles soient utilisées et tuées. L’obsession de Sade pour la violence sexuelle contre les enfants des deux sexes est transformée par ses laquais littéraires, fidèles à leurs habitudes, en une autre démonstration du radicalisme sexuel progressif de Sade. Comme l’écrit Geoffrey Gorer : « Selon de Sade, les très jeunes enfants sont sans vergogne, sexuellement curieux et dotés de forts sentiments sexuels. Les enfants sont naturellement des pervers polymorphes. » 43. En fait, selon Sade, les hommes adultes trouvent particulièrement gratifiant d’enlever, de violer, de torturer et de tuer des enfants.
Sade est également obsédé par la violation de la mère, non seulement en tant qu’épouse de son mari, mais aussi en tant que victime de ses enfants. Une constante dans la fiction de Sade est que les pères sont des êtres sexuels merveilleux et les mères sont des prudes stupides et refoulées qui seraient de meilleures putes (ou comme les putes qu’elles sont vraiment). En tant que philosophe, Sade soutient constamment que l’on ne doit rien à sa mère, car le père est la source de la vie humaine :
… N’ayez pas peur, Eugénie [l’héroïne], et adoptez ces mêmes sentiments ; ils sont naturels : uniquement formés du sang de nos pères, nous ne devons absolument rien à nos mères. Qu’ont-elles fait, d’ailleurs, sinon coopérer à l’acte que nos pères, au contraire, sollicitaient ? Ainsi, c’était le père qui désirait notre naissance, tandis que la mère y consentait simplement. 44
Le mépris de la mère fait partie intégrante du discours de Sade :
C’est de la folie de supposer qu’on doit quelque chose à sa mère. Et sur quoi, alors, la gratitude serait-elle fondée ? Doit-on être reconnaissant qu’elle ait joui [sic] quand quelqu’un l’a baisée une fois ? 45
Une fille qui se retourne contre sa mère, qui la force à se soumettre au viol et à la torture, qui diffame et rabaisse sa mère, et finalement qui se délecte du meurtre de sa mère est un scénario Sadien crucial.
Les idées de Sade sur les femmes et la liberté sexuelle sont expliquées tout au long de son travail. Il a peu d’idées sur les femmes et la liberté sexuelle et ne craint pas la répétition. Les femmes sont censées être des prostituées : « . . . votre sexe ne sert jamais mieux la Nature que lorsqu’il se prostitue au nôtre ; c’est, en un mot, pour être baisée que tu es née… » 46. Dans le viol, un homme exerce ses droits naturels sur les femmes :
« S’il devient alors incontestable que nous avons reçu de la Nature le droit d’exprimer indistinctement nous souhaits à toutes les femmes, il devient également incontestable que nous avons le droit de contraindre leur soumission, non pas exclusivement, car je serais alors en train de me contredire, mais temporairement [la doctrine de la « non possessivité »]. On ne peut nier que nous ayons le droit de décréter des lois qui obligent la femme à céder aux flammes de celui qui la voudrait ; la violence elle-même étant l’un des effets de ce droit, nous pouvons l’employer légalement. » 47
Sade a été le pionnier de ce qui est devenu l’esprit de la révolution sexuelle dominée par les hommes : la propriété collective des femmes par les hommes, le refus des femmes n’étant jamais justifiable. Sade a poussé ses idées jusqu’à leur conclusion logique : des bordels d’État dans lesquels toutes les femmes seraient obligées de servir dès l’enfance. L’idée d’un accès illimité à une population de femmes absolument disponibles, là pour être violées, auxquelles on pourrait tout faire, a saisi l’imaginaire masculin, en particulier à Gauche, et s’est traduite par l’euphémisme de la demande de « sexe libre, femmes libres ». La conviction que cette envie d’utiliser sans restriction les femmes est révolutionnaire met amèrement en évidence le sens de la « liberté sexuelle » dans la théorie et la pratique sexuelles de Gauche. Sade dit : utilisez les femmes parce que les femmes existent pour être utilisées par les hommes ; faites-leur ce que vous voulez pour votre propre plaisir, quel qu’en soit le coût pour elles. Suivant la tradition de gauche, Peter Weiss, dans la pièce connue sous le nom de Marat/Sade, paraphrase Sade de cette manière heureusement fallacieuse : « Et à quoi bon une révolution/sans copulation générale. » 48.
Dans une variation des thèmes gauchistes, Christopher Lasch, dans La Culture du Narcissisme, voit Sade non pas comme l’initiateur d’une nouvelle éthique de la collectivité sexuelle, mais comme celui qui a anticipé la chute de la famille bourgeoise avec son « culte sentimental de la féminité » 49 et la chute du capitalisme lui-même. Selon Lasch, Sade prévoyait une « défense des droits sexuels de la femme [sic] – leur droit de disposer de leur propre corps, comme le diraient les féministes aujourd’hui. . . Il percevait, plus clairement que les féministes, que toutes les libertés sous le capitalisme aboutissent en fin de compte à la même chose, à la même obligation universelle de jouir et d’être jouie. » 50 L’interprétation particulière, et singulière, de Sade par Lasch semble découler de son incompréhension obstinée de l’intégrité sexuelle telle que les féministes la conçoivent. Dans l’univers de Sade, l’obligation de jouir s’étend aux femmes comme l’obligation de jouir d’être joui – faute de quoi, le sexe reste ce qu’il était : un passage forcé à la mort. L’idée selon laquelle Sade préfigure des revendications féministes en matière de droits sexuels des femmes n’a d’égal, en termes d’absurdité intéressée, que l’opinion de Gerald et Caroline Greene, dans S-M : The Last Taboo : « s’il y a une chose que de Sade n’était pas, c’était un sexiste » 51.
De Beauvoir avait compris que « [l]e fait est que l’intuition originelle qui est à la base de toute la sexualité de Sade, et donc de son éthique, est l’identité fondamentale du coït et de la cruauté. » 52. Camus avait compris que « deux siècles en avance et à une échelle réduite [par rapport aux staliniens et aux nazis], Sade prônait des sociétés totalitaires au nom d’une liberté débridée… » 53. Ni eux ni les critiques moins consciencieux de Sade n’ont perçu que la valeur accordée aux femmes par Sade a été la seule constante dans l’histoire – imaginée et mise en œuvre – ayant pour conséquence la destruction de vies réelles ; que la défense et la célébration du viol et des coups et blessures par Sade ont été les thèmes permanents de l’histoire. L’endurance spectaculaire de Sade en tant que force culturelle est due, et non malgré, à la virulence de la violence sexuelle envers les femmes dans son travail et dans sa vie. Le travail de Sade incarne les valeurs et les désirs communs des hommes. Décrit surtout pour ses « excès », comme c’est souvent le cas, le pouvoir de l’œuvre de Sade à exciter l’imagination des hommes est perdu. Rien dans l’œuvre de Sade ne se déroule en dehors du domaine de la croyance masculine commune. Dans l’histoire et le discours, la conception que Sade à de la romance est la suivante : « Je vous l’ai déjà dit : le seul chemin vers le cœur d’une femme est le chemin du supplice. Je n’en connais pas d’autre aussi sûr. » 54. La conception de Sade de la sexualité est la suivante :
« … il n’y a pas de passion plus égoïste que la luxure ; aucune qui n’est plus sévère dans ses exigences ; raidi par le désir, c’est de vous-même dont vous devez vous occuper uniquement, et quant à l’objet qui vous sert, il doit toujours être considéré comme une sorte de victime, destinée à la fureur de cette passion. Toutes les passions n’exigent-elles pas des victimes ? » 55
Ces convictions sont ordinaires, exprimées souvent dans un langage moins grandiose, soutenues dans leur justesse par l’application de la loi suprématiste-mâle en particulier dans les domaines du viol, des coups et de la reproduction ; elles sont parfaitement en accord avec les pratiques (sinon les prédications) des hommes ordinaires avec les femmes ordinaires. Si le travail de Sade – ennuyeux, répétitif, laid comme il est – n’avait pas incarné ces valeurs communes, il aurait été oublié depuis longtemps. Si Sade lui-même – un terroriste sexuel, un tyran sexuel – n’avait pas incarné dans sa vie ces mêmes valeurs, il n’aurait pas excité l’admiration tordue et complaisante de ceux qui l’ont dépeint comme révolutionnaire, héros, martyr (ou, dans la prose banale de Richard Gilman, « le premier énonciateur convaincant dans les temps modernes du désir d’être autre que ce que la société a déterminé, d’agir autrement que ce que les structures morales existantes nous contraignent à faire » 56).
Finalement, l’importance de Sade, n’est pas aussi dissidente ou déviante : c’est celle d’Everyman, une désignation que l’aristocrate fou de pouvoir aurait trouvé répugnante mais que les femmes, à l’examen, trouveront vraie. Dans Sade, l’équation authentique se révèle : le pouvoir du pornographe est le pouvoir du violeur/batteur qui est le pouvoir de l’homme.
Traduction en cours d‘Alizée DENIS et Mélodie DALY